Le pouvoir des communautés face à l’isolement
Bonjour, bienvenue dans cette nouvelle newsletter de mūsae. Récemment, j’ai regardé une vidéo de l’une de mes créatrices de contenu préférée. Elle expliquait qu’elle n’allait pas très bien en ce moment mais qu’elle arrivait à gérer cette situation grâce à son entourage. Elle donnait plusieurs exemples comme le fait que chacun·e de ses colocs fasse à manger une fois par semaine. Je me suis alors interrogée sur la place que nous faisons aux autres dans nos vies. Dans quelles mesures la communauté apaise notre santé mentale ? Comment faire communauté pour soulager l’autre et se soulager soi-même ?
Et puis, j’étais énervée par notre système de société qui privilégie l’individualisme et laisse chacun·e se débrouiller seul·e. Alors, je me suis dit que j’allais écrire sur la notion de communauté et comment la remettre au centre de nos rapports avec les autres.
Bonne lecture !
« Pourquoi j’passe mon temps à geeker et à mater du foot ; Y’a tellement de choses à faire ; Mais tout m’paraît irréel », chantait Columbine en 2016 dans « Retour IRL », un long monologue qui reflète parfaitement la solitude éprouvée par les jeunes. Le XXe siècle est souvent caractérisé par l’isolement alors que nous sommes tous·tes connecté·es. Le développement des moyens de communication nous permet d’être joignables rapidement, à n’importe quelle heure, par message ou en vidéo. Tout nous donne la sensation que nous ne sommes jamais seul·es. Et si tout cela n’était qu’un mirage?
En 2023, une personne sur 10 est dans une situation d’isolement total et une personne sur trois n’a qu’un seul réseau de sociabilité voire zéro (travail, famille, ami·es, monde associatif), selon une étude de la Fondation de France. Une réalité qui était presque impossible il y a quelques siècles tant les activités du quotidien étaient collectives.
Selon Gilles Lipovetsky, professeur agrégé de philosophie, auteur de l’Ère du vide, la société de consommation est devenue une société de fabrication des solitudes car elle privatise les modes de vie et dissout les lieux traditionnels de sociabilité. « Nous avons des sociétés fortement communicantes mais faiblement rencontrantes », résume-t-il.
Le quotidien dans les grandes villes est particulièrement solitaire. Il y a quelques semaines, un jeune photographe récemment arrivé à Paris a lancé un appel à l’aide sur TikTok pour rencontrer des gens. Une requête qui a été entendue puisque des dizaines de personnes se sont retrouvées dans la capitale pour partager un moment avec lui.
SOLITUDE VS ISOLEMENT
Avant de continuer, j’aimerais faire la distinction entre la solitude et l’isolement. La solitude est un sentiment subjectif qui peut s’éprouver lors de situations où nous sommes isolé·es mais pas seulement. L’isolement est mesurable et caractérisé par une situation concrète, il aggrave la souffrance psychique. On pense par exemple au syndrome « hikikomori », un mot japonais qui définit un état, notamment psychologique, qui pousse les gens à rester enfermés chez eux pendant plusieurs mois voire plusieurs années.
Le Covid-19 et les confinements ont mis en lumière la place que la solitude avait prise dans nos vies et nous ont fait ressentir ses effets sur le long terme. L’isolement rend la gestion d’événements critiques plus difficile qui peuvent mener à des troubles psychiatriques. Il est aussi un facteur aggravant de plusieurs troubles comme l’anxiété et la dépression mais également source de stress. À l’inverse, les individus qui ont le sentiment de faire partie d’une communauté présentent moins de symptômes de ce type.
La « santé communautaire » est une stratégie qui émerge dans les années 1980 et qui inclut la communauté dans son ensemble pour améliorer sa santé et réfléchir aux besoins, priorités et à la mise en place de solutions. Le concept a été créé pour répondre aux problèmes posés par l’isolement ainsi que développer des liens sociaux et des compétences qui permettent aux individus de mieux gérer leur santé, ici mentale.
Il provient d’un vaste mouvement alternatif et contestataire de gauche porté notamment par Franco Basaglia qui privilégie l’intégration sociale des personnes atteintes de troubles contre une prise en charge trop focalisée sur l’enfermement en hôpital psychiatrique. Il encourage par exemple des clubs de patients, auto-gérés, qui deviennent des espaces communautaires ouverts en journée, en soirée et les week-ends. Les Groupes d’entraide mutuelle (GEM) en sont le prolongement. Ces structures associatives accueillent des personnes aux troubles psychiques similaires pour créer du lien social et lutter contre l’isolement.
TOUT EST DEVENU PAYANT, Y COMPRIS LE LIEN SOCIAL !
L’isolement est très souvent lié à la précarité puisque de nombreux lieux collectifs sont liés à des activités payantes. Ainsi, des personnes isolées choisissent de fréquenter des centres commerciaux, des marchés ou des commerces qui ne sont pas des lieux propices à la création de lien social.
Une étude, publiée en mars dernier, s’est penchée sur la santé mentale d’habitant·es de quartiers à faible niveau socio-économique qui présentent une santé mentale plus détériorée que celleux qui habitent dans des quartiers plus favorisés. Les chercheurs·es se sont alors intéressé·es à des initiatives qui permettent de créer du lien dans le quartier comme des clubs de sport, des associations, des chorales ou encore des loisirs partagés à plusieurs. D’ailleurs dans le cadre de cet article, nous avons découvert le « Pawa club », une chorale d’empowerment créée et menée par l’artiste Frieda. On a adoré chez mūsae. Nous vous en parlerons très bientôt dans un podcast ! Les espaces communs permettent de créer une identité de quartier qui est essentielle pour ces communautés fracturées et surtout qui permet d’améliorer leur santé mentale.
S’APPUYER SUR SES PAIR·ES
Pour sentir les bienfaits psychiques d’une communauté, il faut se sentir y appartenir, y avoir un rôle actif et se sentir connecté·e aux autres. Pour autant, ce n’est pas toujours le cas au sein des centres de soins en santé mentale, surtout dans les hôpitaux psychiatriques. Ces lieux peuvent devenir excluant. Ainsi, le cercle vicieux se nourrit puisque ces personnes sont généralement plus isolées du fait de leur situation.
La pair-aidance peut être une solution. Il s’agit d’un soutien et un accompagnement livré par des personnes ayant vécu des expériences similaires, notamment en matière de santé mentale, afin d’aider et d’accompagner ceux et celles qui traversent des situations comparables. Cela peut favoriser le sentiment de compréhension et d’acceptation, et peut contribuer à réduire la stigmatisation et l’isolement. La pair-aidance dans le soin en santé mentale permet souvent de créer un lien plus fort dans la mesure où on s’entretient avec une personne qui partage la même expérience du trouble psychique que nous. On se dit alors « elle est passée par là, elle a eu le même vécu, elle peut réellement me comprendre », contrairement à un·e professionnel·le de santé (dans la plupart des cas).
Nous avions reçu Abigaïl Barrand, alias @voyageuse_au_naturel, dans une série de vidéos « Tu n’es pas seul·e » qui nous explique les bienfaits de la pair-aidance dans son parcours personnel. Si vous êtes concerné·es par un trouble et que vous souhaitez vous renseigner sur la pair-aidance vous pouvez vous tourner vers l’association La Maison Perchée, à Paris mais aussi en ligne. L’application We are Tuki est aussi une bonne alternative pour apprendre sur son ou ses troubles mais aussi pour être accompagné·e par des pairs.
Dans certains cas, trouver des communautés peut permettre de mieux gérer son stress comme par exemple l’éco-anxiété, un sentiment de stress lié aux enjeux environnementaux. Léa Geindreau, activiste écologique, nous confiait dans un entretien à ce sujet que le meilleur remède à ce stress était « le passage à l’action ».
La sensation d’être exclu·e d’un groupe peut aussi avoir des conséquences lourdes sur les personnes qui en sont victimes. Les communautés locales par exemple peuvent facilement exclure des groupes minoritaires ou des groupes d’immigré·es qui viennent de s’installer alors que la stigmatisation et la discrimination rendent la communauté essentielle.
Par exemple, la communauté du drag s’est rapidement organisée en communauté au fur et à mesure des balls (des lieux où les participant·es peuvent danser, montrer leur drag et participer à des compétitions). Des houses ont été créées avec à leur tête des « mères » ou des « pères » qui servent de mentor aux autres. Ces familles « choisies » permettent à leurs membres de se sentir validés, en sécurité et acceptés par les autres. Elles remplacent bien souvent les familles biologiques qui ont pu les rejeter. Nous avions parlé de cette notion avec Dounia Belaribi, alors membre d’une ball-room à Paris lors de l’enregistrement de notre podcast mūsae stories.
LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE : SIMPLE, PAS CHER ET CONTESTATAIRE
Prendre soin et faire partie d’une communauté ne nécessitent pas forcément de vivre ensemble, ni de payer pour une activité. Nous pouvons prendre soin des un·es et des autres autrement. Une youtubeuse, Nina, qui vit en colocation en Australie et que j’apprécie particulièrement, expliquait dans une vidéo que dans son quartier chaque maison faisait les courses pour les autres en roulement. Ce type d’organisation permet de créer un sens de communauté et aussi d’améliorer la santé mentale de chacun·e. D’autres actions sont possibles comme ramener quelqu’un, qui n’a pas de solution en transport en commun, chez lui ou chez elle ou encore demander à ses voisins de garder leurs enfants, leur animal ou leur maison s’ielles s’absentent.
Une amie à moi m’avait donné une bonne idée un jour en m’expliquant qu’elle allait tous les dimanches midi chez sa meilleure amie avec un repas qu’elle avait préparé. Je dois avouer que je bénéficie moi-même de ce type de soutien. Chaque mercredi soir, je mange avec mes meilleurs ami·es après notre cours de sport. À certains moments, ces repas partagés étaient mes seuls véritables repas de la semaine.
Ces actions intentionnelles créent du lien, naturellement, et sont essentielles dans une ère marquée par l’individualisme et l’ère du tout payant. La communauté permet de diminuer la souffrance, à tous les niveaux mais aussi la prévalence des risques de santé mentale. Que ce soit au sein des clubs des patient·es à l’époque de Basaglia, des chorales, des groupes de parole Alcooliques Anonymes ou encore dans le mouvement de la pair-aidance, leur dénominateur commun est l’amour, sans aucun doute. Cela peut vous paraître mièvre mais l’amour a bel et bien des vertus thérapeutiques pour notre santé mentale que ce soit au niveau individuel comme collectif. L’amour peut provoquer des changements profonds en nous et au sein de la société. C’est tout le sujet de l’exposition « Love is louder » au Palais Bozar, à Bruxelles.
Décider de créer des communautés, c’est aussi s’opposer au modèle de société qui nous est imposé. Justement, la « santé communautaire » s’insère dans un mouvement politique et contestataire en luttant contre l’exclusion psychiatrique et les autres causes d’exclusion qui peuvent l’accompagner. Elle reconnaît par exemple les squats pour les patients psychiatriques comme des espaces communautaires où se nouent des liens. En mettant les droits humains fondamentaux au centre, elle lutte contre l’absence d’organisation de la société actuelle et surtout contre un contrôle social centré sur la sécurité.
La chaîne YouTube de Nina Montagne
La vidéo de Nina Montagne qui parle de sa santé mentale et la manière dont son entourage lui permet de mieux gérer les moments compliqués.
« Paris is burning »
Le film documentaire « Paris is burning » sur les ball-room et houses de New York dans les années 1980 qui montre de manière juste l’importance de ces espaces communautaires.
« Love is louder »
L’exposition « Love is louder » au Palais Bozar à Bruxelles qui mêle révolutions sexuelles mais aussi les manifestations publiques d’affection comme vecteurs de changement et de création de liens sociaux.Merci ! Votre inscription à notre newsletter a bien été enregistrée.