Le tabou des tabous de la santé mentale
Apprendre à parler du suicide peut tout changer pour ne pas en faire une fatalité. Newsletter et podcast ressources pour vous.
Hello à tous·tes et bienvenu·es à toutes les personnes qui nous ont rejointes dernièrement sur Substack. Pour celleux qui nous découvrent, deux fois par mois nous décryptons un sujet lié à la santé mentale.
Aujourd’hui je vais parler du suicide, un sujet qui me tient tout particulièrement à coeur. On tait ses maux par peur, par pudeur ou par tabou. Pourtant on est bien plus nombreux·ses qu’on ne l’imagine à être concerné·es. Et spoiler alert : on est aussi très nombreus·ses à se rétablir et à vivre pleinement aujourd’hui. Alors plutôt que laisser la honte nous envahir, si on apprenait à en parler ?
J’ai bien conscience que cette newsletter peut « trigger » certain·es d’entre vous. Donc si vous traversez une période difficile, elle n’est peut-être pas pour vous. Je vous invite à ne pas la lire, à aller chercher de l’aide auprès de la ligne d’écoute prévention suicide du 3114 ou de votre professionnel·le de santé et à vous rendre tout en bas de cette newsletter pour plus de ressources.
Le podcast en avant-première juste pour vous
Il y a deux semaines j’ai animé une table ronde intitulée « Pourquoi faut-il parler du suicide » sur un campus universitaire. À mes côtés, Julie, jeune aidante d’un proche qui a fait une TS (et qui va très bien aujourd’hui ;-)) ainsi que le docteur et psychiatre Liova Yon, chef de service au centre hospitalier de Sainte-Anne. Il fait partie également du programme de prévention Papageno et dirige VigilanS Paris, dispositif d’accompagnement des personnes qui ont fait une tentative de suicide.
La conférence se déroulait dans un contexte pas facile, facile. C’était un vendredi soir d’hiver, pluvieux et brumeux. Je me suis dit qu’il n’y allait avoir personne parce que ce franchement terminer la semaine comme ça, il y avait clairement meilleure ambiance ailleurs. Surprise, à mon arrivée l’amphithéâtre était plein. Dans l’audience des étudiant·es, des parents, des proches étaient venus chercher des ressources et briser la loi du silence. Aujourd’hui je vous livre en avant-première le podcast extrait de notre talk à écouter ici.
Le tabou des tabous
Il n’y a pas de doute. Le suicide est le plus grand des tabous qui habitent la santé mentale. Le comportement suicidaire ronge le psychisme des personnes qui ont fait une TS (tentative de suicide). On va même se reprocher de l’avoir fait. Il n’y a pas de maladie plus stigmatisante que les troubles psy. Le suicide en fait partie. Trop souvent mis sous le tapis, c’est le secret de famille dont on a honte. J’en ai parlé à plusieurs reprises ici ou là. Pourtant en parler est essentiel. Les derniers chiffres viennent de tomber :
Il demeure la deuxième cause de mortalité des 15-24 ans après les accidents de la route (même si c’est la tranche d’âge dont le taux est le moins élevé).
Le nombre d’hospitalisations pour geste auto-infligé a augmenté chez les adolescentes et les femmes de moins de 25 ans depuis 2017 avec une hausse qui s’est accélérée à partir de 2021 (+ 46 % par rapport à 2017).
Il représente encore près de 9 200 décès et 200 000 tentatives de suicide par an, soit près de 25 décès par jour.
La mort par suicide est beaucoup plus présente chez les hommes, ils représentent 70% des suicides.
Le taux de suicide reste en France l’un des plus élevés d’Europe avec 13,4 suicides pour 100 000 habitants, pour une moyenne européenne de 10,2.
Il touche avant tout les populations vulnérables : les personnes qui ont un trouble psychique, les personnes détenues en milieux carcéraux, les agriculteur·ices, les personnes en situation de précarité économique et sociale, les personnes âgées.
Je sais, c’est peut-être un peu violent que de lister ces chiffres. Mais ce qu’ils nous disent, c’est que le suicide a quelque chose à voir avec l’isolement social. Il touche celleux qui ne peuvent pas parler de leur souffrance parce qu’iels n’ont juste pas la possibilité de le faire. Si vous lisez cette newsletter et que vous avez des pensées suicidaires, sachez que vous n’êtes pas seul·e. Vraiment.
Tous·tes concerné·es
Ce sujet doit tous·tes nous concerné·es. C’est toute une imagerie collective en tant que citoyen·nes que nous devons changer. Les clichés et les idées reçues ont la peau dure. Souvent on n’en parle pas parce que…
Ça doit sauter aux yeux lorsque quelqu’un est sur le point de passer à l’acte.
Les idées noires c’est dans la tête.
Le suicide est un geste lâche.
Ce n’est qu’un petit coup de déprime, ça va passer.
Il ne fait que se plaindre, c’est juste qu’il est trop faible.
Celui ou celle qui en parle c’est celui ou celle qui ne passe pas à l’acte.
Une tentative de suicide ce n’est pas un suicide c’est un appel à l’aide.
En parler ça donne de mauvaise idée.
Rien de tout ça n’est valable. Lors de notre échange, le docteur Liova Yon était formel : « ll n’est pas question de courage ou de lâcheté dans le suicide. Avoir des idées suicidaires c’est vouloir arrêter de souffrir. Ce n’est pas avoir envie de mourir. »
Les conduites suicidaires sont le fruit de mécanismes avec un déterminisme extrêmement complexe. On ne se suicide pas à cause d’un problème amoureux ou d’une difficulté au travail. On le fait car on a vécu une accumulation de difficultés de registres très divers, cela peut-être une dépression mais également un contexte social.
Parfois on se dit, il a dû se passer quelque chose de grave pour qu’iel en arrive là. Julie disait à mon micro :
« En réalité, il ne faut pas qu’il y ait une raison importante. Ça décrédibilise et cela délégitime la parole des personnes concernées. »
En consultation, les professionnel·les de santé ne sont pas là à chercher en permanence quelle est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le suicide est multifactoriel.
Le poids des mots et des images
Si on véhicule ces idées reçues sur le suicide c’est aussi du fait des médias qui les alimentent. Est-ce que vous vous souvenez du traitement médiatique du suicide d’un cheminot en décembre dernier ? Il m’avait mis hors de moi. Des médias grand public banalisaient la souffrance psychique et sociale en la présentant comme un acte égoïste gâchant les vacances de Noël de certain·es. Sérieusement, on en est à ce niveau-là d’égoïsme? J’avais beaucoup aimé en réponse la vidéo de l’excellent duo Culture Psy.
À l’inverse le suicide peut être glamourisé dans la littérature ou sur TikTok. C’est ce qu’on appelle l’effet Werther. C’est le fait d’augmenter le geste suicidaire quand on le rapporte de manière inappropriée. C’est une forme de suicide mimétique. Il a été mis en évidence en 1982 par le sociologue américain David Philipps, qui a étudié la hausse du nombre de suicides suivant la parution dans les médias d'un cas de suicide.
Le nom est inspiré par une vague de suicides s'étant produite en Europe lors de la parution du roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther. Le jeune Werther décide en effet de se suicider en raison d’une rupture amoureuse. Il aurait inspiré ensuite de nombreux autres hommes tant son geste était présenté de manière esthétique.
Apprendre à en parler peut tout changer
Heureusement il existe aussi l’effet inverse : une épidémie positive. C’est l’effet Papageno. Il fait référence à la fin heureuse de l'opéra de La Flûte enchantée de Mozart. Son personnage principal, Papageno trouve les ressources pour surmonter sa peine grâce à ses potes et ses ressources intérieures. La morale de l’histoire : parler du suicide ne donne pas de mauvaises idées. Au contraire, ça permet d’enrayer les pensées suicidaires et de briser l’isolement. Mais il faut que ça soit bien fait.
Il n’y a pas besoin d’être professionnel pour en parler et assurer le premier niveau d’aide. En revanche c’est important de savoir poser les bonnes questions sans jugement, sans banaliser ni glamouriser le sujet.
Pour apprendre à le faire, les ressources que je vous recommande :
Le site du 3114
Le programme Papageno qui forme également les journalistes et les créateur·ices de contenus à bien en parler.
Notre podcast bien sûr avec Julie et le docteur Liova Yon.
Connaître les bonnes ressources de soin
Warning néanmoins : recevoir la parole ne veut pas dire traiter la question. Il s’agit d’être à l’écoute, de poser les bons mots pour créer du lien et renvoyer vers les professionnel·les de santé mentale.
Souvent au premier abord la personne ne veut pas se faire aider. Vous pouvez alors créer un « cercle d’aidant·es » autour d’elle et mobiliser tout un entourage qui encourage vers la prise en charge. Vous pouvez ensuite orienter la personne vers ces ressources :
Les médecins et les psychologues sont les 1ères ressources.
Appeler le 3114
Psy Île-de-France pour toute question sur la santé mentale en dehors des crises suicidaires 01 48 00 48 00. De 11h à 19h avec possibilité d’avoir des consultations psys.
En cas de danger avéré c’est le SAMU sans hésiter qu’il faut appeler. On détaille les situations d’urgence dans le podcast.
Il n’y a pas à tergiverser c’est important de rediriger vers la personne dont c’est le métier. Il est également important de prendre soin de sa propre santé mentale lorsqu’on est proche et aidant·e.
Parle-moi de ton silence
Ce projet est porté par Papageno. Que vous soyez concerné·e, endeuillé·e ou que vous vous inquiétez pour vos proches, ce projet est pour vous. Il vise à changer le regard porté sur le suicide, briser la honte qui l’entoure et donner des outils de prévention 🎗️. Ses membres ont rédigé un manifeste pour lequel ils espèrent un maximum de signatures. Objectif : publier en une de tous les médias nationaux une campagne de prévention le 10 septembre 2025, date de la journée mondiale de prévention suicide. Pour les soutenir c’est ici.
La série « Nos Vies en l’air » sur France TV Slash
Dans cette interview exclusive, lnès Kermas et Anthony Goffi, les acteur·ices principaux de la série Nos vies en l’air ont partagé avec nous leur envie de s’engager à travers leur art pour parler du suicide.
The Ben Raemers Foundation
Les contenus de la fondation Ben Raemers sont précieux pour déstigmatiser la santé mentale chez les hommes. Ils ont été créés par une communauté de skaters en Angleterre qui s’est mobilisée suite au décès de Ben Raemers, ami et rider. Pour rappel, les hommes représentent 70% des suicides.
J’espère que cette newsletter vous aura été utile et vous aura (re)donner de l’espoir.
Encore une fois si vous avez besoin d’aide parlez-en à vos proches ou à un·e professionnel·le. En parler peut tout changer.
Prenez soin de vous, sincèrement.
Christelle
Le 3114, souffrance prévention suicide
Merci de traiter ce sujet ! Je ne peux qu'être d'accord avec un autre commentaire concernant la formation de Premiers Secours en Santé Mentale. Je l'ai suivie il y a quelques mois et elle est de très grande qualité. Mais payante en effet même si je crois qu'on peut la financer via son CPF (et il est vrai qu'elle n'aborde pas que le suicide). Bonne journée !
Un grand merci pour cette publication. Parmi les ressources pour "assurer le premier niveau d’aide" je suis surprise de ne pas voir figurer la formation 'Premiers Secours en Santé Mentale' de PSSM France, ouverte au grand public, riche d'enseignements et d'outils concrets !